Rencontre avec Maître Caroline Tillie-Chauchard, fondatrice de Dame Marteau
La place de l’art dans la gestion de patrimoine
Installée à Montpellier et à Salon de Provence, la société Dame Marteau a été créée par Maître Caroline Tillie-Chauchard, Commissaire-priseur judiciaire.
En quoi consiste la fonction de commissaire-priseur ?
Le commissaire-priseur est à la fois un juriste et un historien de l’art. Il faut différencier deux types de commissaires-priseurs. D’une part, les commissaires-priseurs judiciaires sont des officiers ministériels nommés par le ministre de la Justice dont leurs activités sont définies par la loi : ventes aux enchères publiques et estimations prescrites par la loi ou par décision de justice. D’autre part, les commissaires-priseurs de ventes volontaires prennent en charge des ventes d’objets ou de meubles appartenant à des particuliers. Ils travaillent généralement au sein de sociétés commerciales, et interviennent à la demande de clients privés.
Quels sont les principaux domaines d’intervention du commissaire-priseur ?
Notre quotidien est rythmé par les ventes et les expertises. La mission première du commissaire-priseur consiste à évaluer des biens, puis, le cas échéant, les proposer à la vente.
Cette mission d’évaluation du prix des objets s’inscrit souvent dans le cadre d’une liquidation ou pour des problématiques d’assurance. Lors d’une succession, il est opportun de réaliser un inventaire et une évaluation des biens meubles du défunt, notamment lorsque la valorisation des biens meubles et inférieure au forfait mobilier correspondant à 5% de l’actif successoral. Par ailleurs, le commissaire-priseur est le seul professionnel assermenté pour l’ouverture des coffres bancaires et l’évaluation des objets s’y trouvant.
Afin de déterminer le montant des cotisations d’assurance, nous conseillons également une actualisation régulière des inventaires. En effet, le marché de l’art connaît une certaine volatilité, et il n’est pas rare que la renommée d’un artiste fluctue rapidement.
Au-delà de la mission première de fixation de prix, le commissaire-priseur conseil également des collectionneurs et investisseurs dans la constitution de leur collection. Le conseil porte également sur les stratégies relatives à l’art, notamment dans le cadre fiscal avantageux prévu pour les entreprises.
Quels sont les objets pour lesquels vous êtes le plus souvent sollicitée lors des évaluations ?
Dans le cadre de successions, nous sommes souvent sollicités pour évaluer des objets de valeur, tels que des pièces, des lingots d’or ainsi que des bijoux.
A l’inverse, lors des inventaires de mise en valeur de la collection ou pour un besoin d’assurance, ce sont les tableaux et les sculptures, incluant les bronzes, qui sont les plus fréquents. Les meubles anciens sont également nombreux, mais leur valorisation a baissé et ils sont dorénavant moins recherchés par les collectionneurs de nouvelle génération.
Rappelons que la fiscalité lors de la cession de ces actifs est intéressante avec une exonération au-delà de 22 ans de détention. Lorsque la date d’achat ne peut être justifiée, une taxation forfaitaire de 6,5% ou 11,5% – selon le type d’actifs – du prix de vente s’applique. Enfin, certaines transactions dont le montant est inférieur à 5.000€ sont exonérées.
Justement, quelles sont les mutations que vous observez sur le marché et dans les comportements des collectionneurs ?
Je pense qu’il faut distinguer deux types de collectionneurs, d’une part, le connaisseur, et de l’autre, l’investisseur. De plus en plus de collectionneurs connaisseurs s’intéressent à l’art contemporain. La renommée de certains artistes contemporains comme Pierre Soulages, Robert Combas ou Bernard Buffet atteint des sommets.
Nous voyons également un fort attrait pour les sculptures classiques ou contemporaines, et enfin pour les bronzes signés notamment de Antoine-Louis Barye.
Quant aux investisseurs, ils ont une approche plus financière et s’orientent plus facilement vers l’art moderne, les voitures de collections, et les montres. Enfin, certains investisseurs souhaitent découvrir le monde de l’art crypto, et potentiellement commencer une collection. Ces collectionneurs viennent en général du monde de la tech ou de la finance, et ont tous en commun un intérêt pour les crypto-monnaies.
Nous aurions aimé évoquer la dation d’œuvre : pourriez-vous s’il vous plait nous en dire davantage ?
Bien sûr ! La dation d’œuvre consiste pour un débiteur à régler tout ou partie du montant de sa dette en cédant la propriété d’un bien lui appartenant. On rencontre la dation d’œuvre au profit de l’administration fiscale pour le paiement des droits de succession notamment. Néanmoins, il convient de s’assurer que l’œuvre retienne l’attention de l’administration et qu’elle représente un réel intérêt pour les collections nationales.
Rappelons ici que l’administration peut également préempter certaines œuvres pour le compte des musées, notamment en refusant leur sortie du territoire. Dans les faits, le ministère de la culture refuse la délivrance du certificat d’export aux œuvres qu’il considère comme trésor national comme souvent le cas d’objets archéologiques.
Et pour finir, quelles synergies voyez-vous entre l’art et le Family Office ?
L’art n’est pas un actif comme les autres, et il s’agit d’une nouvelle approche de la gestion de patrimoine. Certaines initiatives ont tenté ces dernières années de présenter l’art et les collections comme une solution d’investissement et se sont heurtées à l’incompréhension à la fois du monde de l’art et du secteur financier.
Il n’en reste pas moins que les œuvres d’art et les objets de collections ont toujours fait partie des biens que nous possédons et que, de ce fait, ils doivent être parfaitement intégrés dans une logique de gestion patrimoniale privée. Dès lors, il est important de proposer une gestion active du patrimoine mobilier qui permette à ce capital de s’apprécier avec le temps, et qui permettra au collectionneur de continuer à faire grandir sa collection et un jour la transmettre.
Propos recueillis par l’équipe de Leone Kapital.