Aujourd’hui le bitcoin et demain le Private Equity : impact de la baisse des actions « Tech »

17/06/22

Contexte macro-économique

Après avoir culminé au-delà des 16.000 points il y a à peine un an, le Nasdaq a perdu 31,95% depuis le début de l’année. L’indice phare des entreprises technologiques est touché de plein fouet par la fin des politiques monétaires accommodantes et des taux négatifs. En effet, la hausse inédite du coût des matières premières et les fortes poussées inflationnistes conduisent les banques centrales à adopter des politiques monétaires plus rigides. Après avoir annoncé la fin du quantitative easing au début du troisième trimestre, la banque centrale européenne a déjà confirmé deux hausses du taux de dépôt en juillet et septembre. Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a confirmé qu’il y avait dorénavant un consensus sur la question au sein du conseil des gouverneurs pour un retour en territoire positif des taux en Europe sous quelques mois maximum. Face à une inflation croissante, la banque centrale américaine (Fed) a également relevé, mercredi 15 juin, ses taux directeurs de trois quarts de point. Il s’agit de la plus forte hausse depuis 1994. Le président du Conseil des gouverneurs Jerome Powell a déclaré que cette hausse « est inhabituellement importante », à l’occasion d’une conférence de presse.

Corrélation des actions « tech » avec les crypto-monnaies

La récente chute des valeurs technologiques cotées s’est immédiatement propagée à un secteur qui lui est particulièrement lié : les crypto-monnaies. Le bitcoin, qui cote actuellement 20.685$ a chuté de 70% depuis son plus haut historique atteint en novembre 2021. Alors qu’il évoluait encore au-dessus de 30.000$ vendredi dernier, le décrochage du Nasdaq a entrainé une baisse immédiate de 31% du bitcoin, ce qui constitue le nouveau plus bas annuel 2022. Rappelons que le Bitcoin n’était pas descendu aussi bas depuis décembre 2020, et que le prochain seul psychologique majeur sera les 20.000$. Un mouvement similaire, voire plus marqué, est également observé sur les autres cryptoactifs.

Or, d’après les données fournies par Bloomberg, le coefficient de corrélation entre le bitcoin et le Nasdaq est en progression depuis le début de l’année, et atteint de nouveaux records depuis quelques semaines avec un coefficient de 0,80. Cette corrélation peut s’expliquer par plusieurs raisons, et notamment par la multiplication des ponts et des interdépendances entre les cryptomonnaies et les entreprises technologiques. En effet, de nombreuses sociétés technologiques s’emparent de la technologie blockchain pour faire croitre leur business model, comme Meta qui intègre désormais les NFTs au sein de son application Instagram. D’autres sociétés, comme Tesla, possèdent une part importante de leur trésorerie en cryptomonnaies.
En outre, les investisseurs institutionnels accordent désormais une place aux cryptomonnaies dans leur allocation stratégique pour diversifier leur exposition technologique, prenant donc des positions acheteuses et vendeuses similaires sur ces deux classes d’actifs.
Enfin, notons que les entreprises de la « tech », comme les cryptomonnaies, sont des actifs intrinsèquement risqués, et figurent parmi les classes d’actifs ayant le plus progressé ces dernières années, notamment à la suite de la crise du Covid-19.

Conséquences directes sur le Private Equity

Si la hausse des taux et la forte baisse des capitalisations des grandes sociétés technologiques va inévitablement avoir un effet sur les actifs non cotés, il est encore difficile d’en mesurer l’impact, et les gérants de fonds vont davantage se concentrer sur la profitabilité des sociétés que sur la croissance à tout prix.
Par définition, la gestion non cotée permet de s’exonérer des variations instantanées des valorisations « mark-to-market » et d’apparaitre ainsi moins sensible aux chocs de volatilité. La valorisation des actifs non cotés est calculée à partir des données financières et comptables, publiées avec une latence de plusieurs semaines voire de plusieurs mois. Ce mode de calcul implique donc une certaine inertie, qui explique le fait que les valorisations actuelles des actifs non cotés ne reflètent pas encore le changement de moral des investisseurs. Cette inertie va être encore renforcée par la bonne capitalisation des sociétés de technologies, qui se sont largement financées ces derniers mois et qui vont probablement décaler leurs prochaines levées de fonds. Cette stratégie leur permettrait ainsi ne pas diffuser de nouvelle base de prix.
Par ailleurs, les gérants d’actifs non cotés adoptent généralement une attitude prudente lors de la revalorisation de leurs participations et ont l’usage de ne pas revaloriser les participations au cours des 6 voire 12 mois qui suivent l’investissement, ce qui laisse une marge confortable au regard de l’augmentation des valorisations sur 2021.

Toutefois, les multiples des société cotées ont baissés dans une proportion telle que, désormais, les fonds de Private Equity – et particulièrement de Venture Capital – ne peuvent dorénavant plus l’ignorer. Rappelons que le mode d’exit le plus fréquent pour les participations non cotées consiste à les céder à des grands acteurs du secteur. Or, lorsque ces sociétés voient leurs propres multiples divisés par deux, elles vont inévitablement être plus regardantes sur le prix d’achat de ces participations. Par ailleurs, la hausse des taux va mécaniquement affaiblir l’effet bénéfique du levier lors des opérations de Private Equity, particulièrement pour les LBO.

Pour s’adapter à ces changements, les gérants de fonds non cotés vont concentrer leurs efforts pour rechercher la profitabilité des participations, et moins la croissance à tout prix, très consommateur de cash. La profitabilité permettra aux sociétés de ne pas être dépendante d’investisseurs externes pour être en mesure de croitre, et sera un élément encore plus fondamental lors de la fixation du prix de vente.

Un environnement créateur d’opportunités

Toutes les zones géographiques ne sont pas touchées de la même manière par ce phénomène de hausse de taux. En Asie par exemple, la banque centrale indienne a récemment confirmé qu’elle allait continuer à suivre une politique monétaire accommodante, alors que la banque chinoise vient même de réduire son taux directeur passant de 4.60% à 4.45%. Rappelons que les multiples des sociétés technologiques asiatiques accusent un retard structurel par rapports à ceux observés aux USA et en Europe. Néanmoins la baisse des multiples aux USA et en Europe entraînera indéniablement une conséquence sur la valorisation des entreprises technologiques asiatiques.

Le contexte décrit ci-dessus va également faire naitre des opportunités intéressantes, notamment sur le marché secondaire. Poussés par des valorisations orientées à la baisse, des gérants de fonds pourraient reconsidérer des offres jugées sous-évaluées il y a encore quelques semaines pour liquider des participations en portefeuille.

Enfin, cette correction va permettre de redonner une prime aux sociétés technologiques résilientes, dont le business model est déjà efficient et rentable. Ces dernières – qui devront peut-être couper certains coûts et ralentir leur croissance – seront moins sujettes à la volatilité actuelle et resteront privilégiées par les investisseurs. Les sociétés auront tout intérêt à conserver leur cash et à retarder autant que possible les prochaines levées de fonds, le temps que l’environnement économique s’améliore. L’impact sera en revanche beaucoup plus direct sur les start-ups qui brulent beaucoup de cash, acquises avec un effet de levier conséquent, et qui avaient été valorisées avec des multiples basés sur des espérances de résultats futurs.